Interview de Simon Moliner
animateur de Terre de Liens Languedoc Roussillon pour les Pyrénées-Orientales
réalisée en janvier 2018

Depuis 10 ans, l’association Terre de Liens Languedoc-Roussillon, membre du mouvement national Terre de Liens, innove dans le secteur agricole avec son approche collective et solidaire. Avec elle, l’installation d’un agriculteur n’est plus une affaire individuelle, elle devient un projet de territoire dans lequel sont impliqués la mairie et les habitants. Un de ses outils : l’acquisition de fermes grâce à l’épargne citoyenne. Dernier exemple en date : l’acquisition de l’élevage ovin de Villelongue-dels-Monts grâce à plus de 185 000€ d’épargne collectés, qui devient ainsi la 13e ferme Terre de Liens en région. Didier, le nouvel éleveur, s’installe en fermage pour mener son cheptel en agriculture biologique. Les cédants sont ravis de voir perdurer la ferme familiale. Le village conserve son dernier élevage dont le troupeau continuera à entretenir les terres communales et transhumera l’été venu en Cerdagne du coté de Valcebollère. Rencontre avec Simon Moliner, animateur de Terre de Liens Languedoc Roussillon pour les Pyrénées-Orientales.

Quelle est la recette pour réussir une installation ?
Quand nous sommes sollicités pour la reprise d’une ferme, nous prenons en compte le contexte global et nous sommes particulièrement attentifs à la transmissibilité future de la ferme. Nous veillons à ce que l’exploitant dispose de parcelles accessibles et irrigables, de bâtiments et d’une habitation, d’un réseau pour la vente directe, … Si ce n’est pas le cas, des solutions existent pour compléter ou améliorer l’existant. Nous nous assurons de la volonté du cédant car l’acquisition prend du temps du fait que nous faisons appel à l’épargne citoyenne. Nous trouvons un prix juste pour les deux parties et non spéculatif. Nous intervenons également auprès des élus, car la volonté politique de maintenir une activité agricole compte pour beaucoup dans la réussite du projet.

La reprise de cette 13e ferme aurait-elle pu se faire sans Terre de Liens ?
Oui, d’autant que Didier avait un apport personnel. Mais tous les mois, ses revenus auraient servi au remboursement de l’emprunt. D’entrée, l’exploitation se serait trouvée dans une situation de fragilité. Didier était aussi intéressé par l’approche citoyenne et la durabilité du projet. Comme il a pris la suite d’une famille d’éleveurs, bénéficiant de tout leur travail, une autre personne viendra, un jour, lui succéder, pour apporter un nouveau souffle à ce qu’il a créé. C’est l’engagement Terre de Liens : garantir le maintien des terres agricoles et de leur culture en bio.

Maintenant que Terre de Liens est propriétaire, quelle est la suite de votre action ?
Nous remplissons nos obligations légales de propriétaire qui sont notamment l’entretien du bâti et les devoirs liés au fermage (le loyer payé par le paysan). En parallèle, nous faisons tout pour que cette ferme soit un lieu vivant et ouvert car notre finalité demeure la transmission d’une exploitation viable dans le temps. Nous continuons à accompagner Didier dans son projet professionnel, que ce soit dans la recherche de partenariats ou l’organisation d’un temps convivial pour garder le lien avec celles et ceux qui le soutiennent. Un partenariat va d’ailleurs aboutir au printemps avec la coopérative citoyenne CatEnr pour la production d’énergie solaire sur la bergerie. Nous donnons ainsi encore plus de cohérence à ce projet avec ce lien entre agriculture, énergie et réchauffement climatique.

Comment gérez-vous les sollicitations de nouveaux porteurs de projet ?
Impliquer des citoyens sur les questions du foncier agricole, est la raison d’être de Terre de Liens. Depuis deux ans, nous formons des bénévoles pour mener un premier accueil téléphonique. Ils écoutent, présentent l’association, estiment la pertinence du projet avec nos missions ou orientent vers une autre structure plus en phase avec la demande. En 2017, nous avons reçu 200 contacts à l’échelle de l’Occitanie et une cinquantaine pour les Pyrénées-Orientales.

Quels sont les projets sur le territoire ?
Avec d’autres structures, nous avons aidé les propriétaires de l’exploitation ovine de Nohèdes à trouver un repreneur. A ce jour, seuls 18% des plus de 55 ans connaissent leur successeur en Occitanie. Ce faible taux montre la nécessité d’une intervention pour mettre les bonnes personnes en relation. Autre projet en cours : à Cattlar, une possible donation d’un terrain à la Fondation Terre de Liens. Cette parcelle pourrait permettre une installation en plantes aromatiques. Mais sécuriser les terres et trouver un projet adéquat demande du temps. Nous sommes également en relation avec plusieurs maraîchers. Et pas si loin du Parc, nous aidons à la transmission d’un élevage de chèvres à Quirbajou dans l’Aude avec une très forte implication de la commune dans le montage du projet.

Acquisition de ferme, aide à la transmission… quelles autres actions développe Terre de Lien en faveur d’une agriculture paysanne ?
Nous explorons plusieurs pistes pour consolider une agriculture biologique, en circuit court et à taille humaine. Avec deux autres antennes de Terre de Liens, nous montons une opération à l’échelle du massif des Pyrénées axée sur le pastoralisme. Nous nous inspirons du travail réalisé par une dizaine de communes dans les Cévennes pour la promotion du pastoralisme. Elles ont obtenu un classement au Patrimoine mondiale par l’UNESCO pour les paysages pastoraux. Elles ont, par exemple, mis en place des zones agricoles pastorales avec un règlement spécifique dans leur document d’urbanisme. Nous souhaitons présenter ce projet aux élus et trouver des communes volontaires.

Le pastoralisme est-il menacé ?
Le pastoralisme (faire manger les troupeaux dehors) valorise des espaces de montagne inadaptés à toute autre culture. Il donne également de l’autonomie aux éleveurs dans la conduite de leur ferme (moins de nourriture achetée, c’est moins de dépense). Si nous voulons des paysans nombreux, des villages vivants et une alimentation locale, nous avons tout intérêt à adapter et développer le pastoralisme. Parmi les pistes à suivre pour préserver les ressources serait d’adapter les pratiques des éleveurs au contexte, en les enrichissant de connaissances naturalistes. A ce sujet, le Conservatoire des espaces naturels associe le nouvel éleveur de Villelongue-dels-Monts à la préservation d’une zone humide. N’oublions pas que toute l’histoire de l’élevage est une histoire de rencontres et de complémentarité entre les territoires : la plaine et la montagne dans les Pyrénées-Orientales en est une parfaite illustration.

Terre de Liens Languedoc-Roussillon
25 rue Croix Haute
30170 Saint-Hippolyte-du-Fort
09 70 20 31 18
www.terredelienslr.fr

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